Ana la akhaf (Je n’ai pas peur), Niccolo  Ammaniti Traduction de Ahmed Somaï, cenatra,   Centre National de Traduction, Tunis,  2008.

 

Les lecteurs tunisiens et arabes ne pourront que se réjouir de la parution de l’excellente traduction que nous devons au professeur Ahmed Somaï du roman : Je n’ai pas peur (Io non ho paura), un roman de l’italien Niccolo’ Ammaniti, l’un des écrivains les plus brillants de la nouvelle génération en Italie.

Le texte d’Ammaniti est un roman à suspense, dur et poétique : il raconte la sortie d’un jeune garçon de neuf ans du monde de l’enfance ; sortie brutale, douloureuse mais assumée.

 

 

L’action se passe sous la chaleur étouffante de l’été 1978, dans une localité indéterminée du sud de l’Italie, Acqua Traverse, dont l’isolement et le dénuement sont décrits avec habileté. Dans ce hameau de quelques maisons, un groupe d’enfants meuble ses vacances par des promenades à vélo à travers la campagne environnante et trompe son ennui en jouant à se faire peur. C’est pendant une de ces virades, qui les emmène jusqu’à une ferme éloignée et inquiétante peuplée d’animaux menaçants, que Michele, le narrateur, fait la découverte d’un jeune garçon, du même âge que lui, tenu prisonnier dans un trou, enchaîné et pourrissant dans ses excréments.

 

L’acte fondateur sera que Michele gardera le silence et ne partagera pas son secret avec le reste du groupe. Il le cachera même à ses parents qu’il adore. S’ouvre alors aux pieds du  garçon un abîme où les peurs caractéristiques de son âge, les angoisses de la découverte du monde extérieur viennent se conjuguer aux interrogations sans fin que suscite en lui la découverte de l’enfant prisonnier. Sa première tentative d’explication, qui cherche à ramener l’inconnu au connu, le conduit à formuler l’hypothèse qu’il s’agit d’un frère à lui dont on lui aurait caché l’existence en raison de sa déficience mentale. Quoique jugée farfelue par le personnage lui-même (puisque rien ne la justifie à part la découverte à côté du prisonnier d’un récipient qui ressemble à l’un des ustensiles de la cuisine familiale), cette hypothèse fait que Michele, dans un mélange de sentiments de culpabilité et de rêve d’héroïsme, va chercher à démêler le mystère. Ses nuits, déjà fort peuplées de créatures de toutes sortes qui lui font peur mais qu’il apprend à apprivoiser, vont s’animer de soirées violentes et de personnages bien plus inquiétants, car bien réels ceux-là. Car, la vérité qu’il va découvrir à la télévision est moins romantique, plus lourde encore à porter. L’enfant a été enlevé à ses riches parents pour obtenir une rançon et tout le village, y compris ses parents, a trempé dans l’affaire.

 Les yeux innocents de l’enfant vont s’ouvrir sur un univers qui chavire où violence et bestialité se révèlent au grand jour chez les personnes que l’on croyait si bien connaître. Une violence latente, dont les jeux parfois cruels des enfants sont un échantillon, se déclare au grand jour avec rapt et menaces de mort. Le garçon fera l’expérience de la trahison, de la déloyauté et des jeux complexes sur lesquels repose la hiérarchie du groupe ; un type de relations humaines où  la taille des biceps et le calibre du pistolet constituent les principaux critères d’organisation.

      Tout le roman baigne dans une atmosphère de violence ; le temps qu’il fait dans la région lui sert de métaphore. La majeure partie du roman se passe, en effet, sous une chaleur étouffante. Découpé par un soleil infernal, l’espace s’organise en dualités de clair-obscur qui font passer d’une clarté aveuglante à une obscurité profonde et inquiétante. Le dénouement par une tempête et une pluie torrentielle qui semblent vouloir tout emporter installe une atmosphère à peine moins violente que celle qui a emporté les illusions et l’insouciance de l’enfance.

                Mondher Jabbéri