Jamel Ghannouchi, La Touche, M C Editions, Tunis, 2010, 202 pages,

Prix : 12 DT

 

La Touche est un récit qui se déroule à une échelle interplanétaire dans un cadre géopolitique complexe qui rime avec l’exploration spatiale et de galactiques histoires épiques et dramatiques.

 

 

En effet, le récit se déroule dans un futur très lointain. L'humanité a quitté depuis longtemps la Terre, rebaptisée « Terra », dans des circonstances que tous ont pratiquement oubliées. La nouvelle confédération de GALATTIS, peuplée de voyageurs et de commerçants issus en droite ligne des obscurs et primitifs terriens, regroupait des millions d’autres planètes . Le pouvoir de cette confédération s’étendait même jusqu’au centre de la galaxie, au niveau du trou noir[1], un endroit particulièrement hostile et peu propice à la vie.

Au gré de cette trame, le jeu de « Touche », le titre du roman, est propre à exciter toutes les imaginations. L’auteur ne dévoile pas, pour autant, les secrets de ce jeu, moins pour entretenir le suspense que pour tisser l’édifice complexe d’un nouvel ordre.

Si le jeu est qualifié de vital, c’est parce qu’il a été conçu pour donner au mâle la capacité physique de féconder et à la femelle celle de porter la progéniture. Dans ce sens, ce jeu est une source d’énergie à travers lequel se profile une technique spéciale qui d’un côté procure de la force aux habitants de la périphérie, et de l’autre autorise le déploiement d’une lutte entre deux volontés. Reconnaissons-le, on s'y perd un peu, mais il faut accepter la sagesse de ne pas tout comprendre. La vie elle-même ne serait-elle pas un jeu dont on ignore jusqu’à présent les règles ?

 

Jeu de « Touche »: Quand matériel et spirituel vont de pair

Avec La Touche, Jamel ghannouchi a composé une immense saga aux multiples enjeux et des personnages plus complexes les uns que les autres. Le récit alterne ces ingrédients narratifs et dramatiques et permet ainsi au lecteur d’avoir une vision globale et englobante qui exclut tout parti pris ou tentation de trancher. Le tout, ici, est de tisser des liens, de construire des ponts ou favoriser les interférences, comme en témoigne l’itinéraire de Tamu, le personnage principal du roman, qui vivait entre la poésie et les mathématiques et construisait un pont entre ces deux disciplines et le jeu de Touche. Tamu se distinguait par des talents peu communs chez les Galattiens qui, eux, vénéraient plus que tout l’exercice physique, peu compatible avec l’usage de la langue et la logique. Mais loin d’être un révolté ou un insoumis, comme le laissent entendre parfois ses propos. Tamu tente juste de creuser en lui, de faire une rigoureuse introspection afin d’identifier le pourquoi des choses pour pouvoir en accepter plus facilement les conséquences. Cette méthode de penser, Tamu l’a adoptée depuis l’enfance. Et c’est précisément grâce à l’apport de ce personnage que le jeu de Touche a vu apparaître avec lui un nouveau groupe d’influence, celui des « mathématiques » et de la « poésie ».

Mais, Tamu a beau être ingénieux et inventif, la plupart de ces propositions de réforme ont fait l’objet d’un rejet, voire d’une répudiation de la part des Galattiens, en dépit de l’évidence des liens directs que le personnage n’a cessé de démontrer entre des disciplines a priori opposées et hétérogènes.

Conséquence immédiate de cette démarcation par rapport à la doxa : aux yeux des Galattiens, pour avoir utilisé le verbe comme arme de précision et les mathématiques comme théorie de jeux, Tamu est pris pour un dissident politique notoire. Dépité, désillusionné, il décide alors de quitter Galattis, la capitale des alliés des Banu et de s’installer définitivement sur terra. Une déception précoce de celui qui s'est cru une vocation de grand joueur de Touche et qui s'aperçoit finalement qu'il est déjà bien difficile d'être à la fois poète, mathématicien et joueur de Touche.

Tamu a acquis sur Terra la capacité de percevoir les pensées des autres, sans aucune communication par le biais des sens, ce qui lui a permis de développer encore plus ses capacités dans le jeu de touche.

A ce titre, les Terriens, ou du moins ce qui en reste, si l’on pouvait encore parler d’humains, dirigèrent leurs efforts pour créer des sciences humaines nouvelles qui devraient leur permettre de découvrir une facette cachée de l’esprit humain. Ils étaient dépositaires d'un savoir ancien nommé télépathie, pendant l'inexorable ascension du pouvoir impérial universel et autoritaire des Galattis.

 

Néanmoins, le progrès dans le domaine des sciences humaines leur fit perdre la maîtrise des sciences physiques et fit de Terra, la planète la plus sauvage et la plus pauvre de la galaxie.

Par contre, Chez les Galattis, La robotique réalisa de si grands progrès que des machines se confondaient avec les humains sans discernement aucun. Des machines entièrement asservies à l’homme, lui prodiguant toute la protection et le confort dont il a besoin.

Choix de la science fiction : prétexte ou contexte ?

Le roman de Jamel ghannouchi est un livre où l’on peut traquer, à travers la science-fiction, le réel d’un monde bien particulier : celui des autocrates scientifiques, ceux qui croient que le salut de l'homme provient seulement de sa capacité à maîtriser et à dominer techniquement, voir même artificiellement la nature.

De la science fiction, on retient surtout son caractère d’anticipation et sa lecture ou son décodage du monde réel, forcément imparfait, à travers une réflexion sur la domination de l'homme par l'homme, sur la violence des civilisations. En effet, la TOUCHE est une métaphore issue d’une observation juste de la condition de l’homme d’aujourd’hui dans sa quête sempiternelle du pouvoir et de la maîtrise des phénomènes naturels par la science, extrapolée de manière logique et poétique dans l’univers fictionnel que crée le roman.

Si l'action humaine, et depuis longtemps, a provoqué la modification de la composition de l'atmosphère terrestre jusqu'à provoquer l’effet de serre - principal mécanisme conduisant au réchauffement climatique et dont les conséquences peuvent être dommageables pour l'homme - suffit-il d'une nouvelle intervention humaine, en sens opposé, pour que les choses rentrent dans l'ordre ?

Catastrophes écologiques, régressions politiques, replis communautaristes, modification des rapports de la cellule familiale, etc. Tous ces bouleversements révèlent, en quelque sorte, le pessimisme de l'auteur vis-à-vis de l'utilisation excessive du progrès scientifique par les hommes.

En effet, en l’an 2100, le climat sur terre est devenu invivable et trop imprévisible, conséquence directe de l’élargissement du trou dans la couche d’ozone, ce qui a contraint l’homme à repenser sa façon de vivre. Les humains se sont ainsi regroupés dans dix villes, réparties équitablement sur la planète, et recouvertes d’immenses coques d’acier, résistantes à tout danger et à l’abri du moindre aléa. Tel est la solution imaginée par jamel ghannouchi dans ce roman.

Cela nous conduit à poser la question de la réversibilité des modifications d'origine anthropique et de la volonté de l'homme à agir dans une direction dissemblable de celle suivie spontanément par lui jusqu'ici et dont il ne cesse d’en subir les conséquences.

En ce qui concerne la forme, les intrigues, le style et la narration restent pourtant simples et de construction traditionnelle. Cependant, la seconde moitié du roman est nettement plus captivante que la première. En effet, les personnages gagnent un peu en maturité et les événements s'enchaînent, ce qui permet d'avoir un certain suspens.

En conclusion, LA TOUCHE est un space-opéra[2] épique, faisant certes appel à la plupart, sinon à tous les thèmes propres au genre : batailles spatiales, races extraterrestres belliqueuses, vaisseaux spatiaux, extrapolations technologiques…, mais également et surtout à des aventures humaines.

Ainsi, on y plonge, en chute libre, dans les puits sans fond de l’espace intersidéral pour une fascinante traversée du miroir du temps en forme d’une partie de jeu avec le destin appelé « LA TOUCHE ».

Mahmoud Osman Turki



[1] En astrophysique, un trou noir est un corps extrêmement dense dont le champ gravitationnel est si intense qu’il empêche toute forme de matière ou de rayonnement de s’en échapper. De tels objets n’émettent donc pas de lumière et sont alors perçus noirs.

[2]Sous genre de la science-fiction, n'ayant aucune visée scientifique, et qui évoque les voyages dans l'espace, les aventures et les combats entre héros et empires galactiques.