Sélim Lafif : Miel et Fiel, Editions arabesques, Tunis 2011, 134 pages. ISBN : 978 9938 801 50 7

 

Après un bref récit Rendez-vous, publié à Paris en 2005, l’auteur réitère son expérience romanesque avec un autre récit, aussi bref que le premier. Là, S. Lafif invente un univers parfaitement conforme à l’attente d’un public mordu par le traditionnel roman-photo, un genre certes révolu, mais qui semble mobiliser, comme en témoigne le récit de M Lafif, un public qui aime l’émotion lyrique et les épanchements du moi, comme savent l’entretenir les feuilletons télévisés mexicains ou turcs.

La preuve, on trouve dans Miel et Fiel tous les ingrédients du genre : une belle rencontre amoureuse contrariée par l’envie des uns ou par l’esprit traditionnaliste ou réactionnaire des autres. Cet amour bat les ailes pendant un moment, avant de finir par braver les obstacles. Ce qui donne à l’auteur l’occasion d’étaler à profusion tous les ingrédients canoniques du genre : les tics de l’amoureux transi, le malentendu que tisse malicieusement un tiers jaloux, la complicité entreprenante d’un adjuvant désintéressé et le tout est saupoudré d’un cadre feutré et clinquant. Mieux encore, les personnages ne se heurtent à aucun problème financier ou professionnel. Leur vie se confond totalement avec leur aventure sentimentale. Ce qui est une façon de tirer un écran épais sur les questions que pose le monde d’aujourd’hui.

 

Dans son récit, l’auteur nous gratifie d’une matière inattendue : une description détaillée digne d’un catalogue de promotion touristique du Caire et d’Alexandrie. Un tel choix n’est pas fortuit, bien qu’il soit factice. Les personnages visitent ces lieux, font du tourisme. Et pour cause. Le couple des mariés a choisi le pays du Nil pour effectuer son voyage de noces. Mais voilà que la maîtresse conjurée et injustement repoussée s’est donné pour devoir de se mettre aux trousses de l’amant indigne afin de l’arracher à son épouse. C’est ce qu’elle a réussi à accomplir héroïquement, tel un agent secret dans un thriller hollywoodien qui agit pour son propre compte dans une stricte affaire de cœur. Nous voyons là la marque brillante du mélange des genres, l’art du kitsch et la belle nostalgie d’un romanesque rétro.

La démarche de l’auteur suscite, par ailleurs, une réelle interrogation. En effet, en délimitant son espace au monde géoculturel arabe, de la Tunisie au Golfe, en passant par l’Egypte, le récit multiplie les renvois à la culture occidentale (films, romans, musique…) en guise de signes nécessaires pour cerner la matière énoncée. Comme si le vécu de chez nous ne pouvait être saisi que sous le prisme des images qu’offre la culture occidentale. Paradoxe de perception ? Trouble infusoire d’analyse ? Non ! Simple élan de dialogue entre Orient/Occident ou encore entre le social et l’esthétique.

L’auteur de Miel et Fiel semble suivre un cheminement qui doit conduire à une rencontre entre un écrivain attentif aux atermoiements du mélodrame et un écrivain attaché aux cultes figés de la culture occidentale.

Kamel Ben Ouanès