Phèle § Ano de Abdel Fattah Memmi

C’est avec un amusement sérieux qu’A. Memmi a écrit son récit. De bout en bout, la gravité du sujet est édulcorée par un sourire débordant et un ton désinvolte.

L’auteur, dont ce texte est son premier ouvrage publié, parle bien des choses qu’il connaît. D’abord, en tant que Tunisien, il évoque les mœurs de son pays, sa réalité sociale et politique. Ensuite, en tant que biologiste, il nous invite à faire une immersion dans l’univers des insectes, notamment celles porteuses de la redoutable maladie du paludisme. Pour mieux guider son lecteur dans les dédales de cette aventure, l’auteur n’a pas hésité à étayer son discours d’une bonne dose de didactisme, en multipliant les notes au bas de page,  afin d’expliquer les notions scientifiques, et d’éclairer ses références  à la réalité socio-historique de la Tunisie.

Le récit est donc « une fiction biologique » sur fond d’un contexte social et politique. Dans ce sens, combiner les deux volets montre que l’enjeu du récit consiste à appréhender ou à juger la réalité tunisienne, sous le prisme d’un anthropomorphisme qui autorise un regard distant, ludique et ironique.

En effet, les insectes, dits anophèles (d’où ce jeu de mots au niveau du titre Phèle§Ano), regroupés en communauté soudée en Côte d’Ivoire, ont déployé d’ingénieuses recherches afin de s’immuniser contre les insecticides. Leur but, ou encore leur cause nationale, est de reconquérir la Tunisie, d’où ils furent chassés  il y a cinquante ans, du temps de Bourguiba.

Pour ce faire, un jeune couple, Phèle et Ano, est chargé d’accomplir cette délicate mission. Arrivé à Tunis à bord d’un avion, niché au milieu des bagages, le couple prospecte les lieux, découvre les artères et les quartiers de la ville,  ses habitants et leurs mœurs. Sans hésitation, le couple entame sa conquête d’une façon énergique en inoculant de leur terrible virus un groupe d’amis, à la faveur d’une veillée ramadanesque. Phèle réussit ensuite à pondre ses œufs dans la piscine d’une villa, alors que son compagnon prospecte les lieux et prépare les termes de la meilleure stratégie d’attaque. Au terme du processus d’éclosion, des millions d’anophèles s’envolent dans le ciel de Tunis, avant de se disséminer dans toutes les régions du pays.

Pour savourer leur triomphe et le succès de leur mission, le jeune couple s’offre une virée dans la banlieue de la capitale, et plus précisément au Palais de Carthage, où il admire tout à la fois la beauté d’une mer d’azur et les miroitements dégonflés du Pouvoir Suprême.

Le récit d’Abdel Fattah Memmi combine la satire politique avec le genre de science fiction. Une approche, certes classique, mais qui  demeure opérationnelle, à condition que la matière romanesque soit agencée autour d’une laborieuse et riche intrigue. Ce qui n’est pas le cas dans ce texte. Ce dernier a certes le mérite d’être bien écrit, mais il est fort court, abusivement elliptique et n’engage aucun face –à- face dramatique entre les assaillants et leurs victimes.

Kamel Ben Ouanès