L’état actuel de la francophonie en Tunisie:

La Tunisie est-elle un pays bilingue ? Sans doute, puisque à côté de l’arabe qui est la langue officielle, le français est utilisé encore aujourd’hui non seulement dans l’enseignement mais aussi dans plusieurs documents administratifs officiels. De l’ordonnance du médecin au timbre postal, en passant par les enseignes des magasins, jusqu’au Journal Officiel, chaque graphie arabe a son correspondant en français. Cependant ce bilinguisme, qui est une caractéristique évidente des pays maghrébins (à l’exception de la Libye), n’est pas une composante stable et figée.

 

En effet, l’usage quotidien de la langue française ne cesse de se réduire ou de reculer dans la population des jeunes. Aujourd’hui les étudiants, même francisants, parlent rarement entre eux en français, en comparaison avec les générations des années 60 et 70. Les raisons de ce recul sont multiples et complexes.

 

 

 

En effet, le phénomène commençait à se faire sentir depuis déjà quelques décennies, et plus précisément depuis le démarrage de la politique d’arabisation menée par le gouvernement tunisien dans les années 70. On voulait réhabiliter l’arabe et lui donner la place privilégiée dans l’enseignement. C’est ainsi que des matières qui étaient enseignées jusqu’au milieu des années 70 en langue française, comme la philosophie, l’histoire ou la géographie sont enseignées, depuis déjà quatre décennies, en arabe. Cette orientation, si elle est noble et légitime dans ses objectifs, (la langue arabe n’est-elle pas la langue officielle et nationale, mentionnée en tant que telle dans la Constitution tunisienne ?) n’a pas manqué de créer chez le jeune tunisien un rapport problématique avec la langue française : de nos jours, il comprend le français, mais ne le pratique pas correctement.

La régression que connaît cette langue au niveau de l’enseignement a été accentuée par une autre mesure ayant trait au domaine des médias : la disparition de la chaîne de télévision nationale en langue française et son remplacement depuis les années 90 par une autre chaîne qui diffuse ses programmes en arabe.

Du temps de Ben Ali, et parallèlement à cette mesure, une campagne de sensibilisation a été menée en vue de mieux mettre en évidence les enseignes en calligraphies arabes et de rapetisser la dimension des enseignes en lettres latine. Le but étant, selon les médias officiels, de revaloriser l’identité arabe du pays. Une telle mesure a été interprétée par d’aucuns, tantôt comme une mise en question de la présence du français en Tunisie, tantôt comme une réaction du dictateur d’alors contre une France hostile à sa politique en matière des droits de l’homme.

Mais paradoxalement, on a enregistré l’émergence d’un mouvement inverse où le français connaît un regain d’intérêt, un sursaut de vitalité, ou du moins une sorte de résistance.

Trois domaines sont particulièrement concernés par ce phénomène : l’enseignement, la presse écrite et la littérature.

1- En effet, devant la dégradation du niveau des élèves et des étudiants en français, on a procédé à un réajustement de l’examen du baccalauréat en vertu duquel l’épreuve de français, jusque-là optionnelle, devient obligatoire pour la plupart des sections du baccalauréat. Cela signifie que pour accéder à l’Université, tout étudiant est censé maîtriser le français.

2- Dans les médias, et notamment dans la presse écrite qui appartient en majorité au secteur privé, on a constaté que pour pouvoir toucher le plus large public, certains périodiques n’hésitent pas à transformer leur titre en édition bilingue (une partie en arabe et une autre partie en français).

De même, les sociétés de presse, qui éditent des quotidiens, ont souvent deux titres, l’un en arabe et l’autre en français. “Dar Essabah” qui n’avait qu’un seul quotidien en langue arabe en a créé un (1) en langue française au milieu des années 70 alors que démarrait justement la politique officielle d’arabisation.

Un autre exemple. “Dar El Anouar” qui édite un quotidien en arabe a décidé de publier à partir d’avril 2001 un quotidien en langue française (2), à un moment précisément où les relations avec l’Etat français, ainsi que le statut de la langue française ont été l’objet de quelques remous que d’aucuns vont jusqu’à interpréter comme les signes de la fin de la vocation francophone de la Tunisie.

3- Mais le fait le plus significatif concerne la littérature tunisienne d’expression française. A ce propos, il convient de préciser d’abord que le roman tunisien en langue française était un genre souvent timide et presque insignifiant, en comparaison avec ce qui s’écrivait en Algérie ou au Maroc. En effet, des années 30, date de la publication du premier roman écrit par un tunisien musulman (Leila aux yeux bleus de Mahmoud Aslan), aux années 70, on évalue le rythme de la production à un roman tous les trois ans. Cependant, et depuis le démarrage de la politique d’arabisation, le nombre de titres n’a cessé de croître, si bien qu’en 1999, et c’est la première fois dans l’Histoire du pays, le nombre de romans tunisiens écrits en français a dépassé celui de romans en langue arabe (13 contre 9 )[i]. Bien sûr, l’année 1999 était une saison exceptionnelle, car aujourd’hui le nombre des romans en arabe dépasse de loin la production romanesque en français. Toutefois, les essais proposés par les historiens, les sociologues, les économistes, voire même par les acteurs politiques sont, en majorité absolue, édités en français.

Ce regain d’intérêt s’explique peut-être par le fait que pour l’écrivain tunisien francophone d’aujourd’hui, l’écriture en français est perçue comme un choix personnel pleinement assumé et aussi comme l’expression d’un parti pris qui se démarque de la politique linguistique officielle.

A la lumière de ce bilan rapide et nuancé de la place du français en Tunisie, faut-il y voir un recul de cette langue ou au contraire les signes de sa progression chez nous ?

Notre évaluation qui souligne le caractère paradoxal, voire contradictoire de cette situation montre à quel point le statut du français en Tunisie est foncièrement problématique, dans la mesure où cette langue périclite et progresse tout à la fois, suscite le rejet et nourrit l’engouement en même temps. Et cet état se déploie sur une toile de fond où il n’y a ni heurt, ni rivalité entre les deux langues, l’arabe et le français, comme si chacune agissait dans sa sphère spécifique et autonome.

En d’autres termes, il n’y a entre le français et l’arabe ni de relation franchement conflictuelle, ni de rapport totalement pacifique. Car pour un Tunisien, ne pas maîtriser le français n’est pas perçu comme un handicap majeur. Ne pas connaître la langue d’origine, l’arabe, n’est pas une tare non plus. Ce qui nous conduirait à affirmer que les deux langues ne coexistent pas, mais elles cohabitent.

Le roman en français et la mémoire des mots en arabe :

En Algérie, comme au Maroc, l’écrivain choisit souvent d’écrire en français, soit parce qu’il ignore l’arabe et que sa langue maternelle est le kabyle, l’idiome utilisé par pas moins de 40 % de la population marocaine et algérienne ; soit parce qu’il cherche à prendre position contre certains choix politico-linguistiques officiels. C’est pourquoi, pour une frange importante des écrivains dans ces deux pays, le choix de la langue de l’ex-colonisateur apparaît comme une nécessité ou une contrainte quasi incontournable, tant sont déterminantes les conditions objectives et historiques favorables à l’émergence de cette littérature francophone. Cela est d’autant plus vrai que souvent l’écriture est consubstantielle à l’état d’exil, non seulement intérieur, mais réel notamment pour l’écrivain qui vit en France.

En Tunisie, en revanche, il y a une réelle homogénéité linguistique, puisque la plupart des écrivains tunisiens francophones vivent en Tunisie et maîtrisent les deux langues. Ils sont donc de vrais bilingues dont certains ont d’ailleurs publié des textes en arabe, avant d’opter pour le français, comme en témoignent les expériences de Frej Lahouar, de Kamel Gaha ou Hafedh Jedidi. (3)

Aussi est-ce pour cette raison que les thèmes récurrents qu’on rencontre dans le roman marocain ou algérien, comme le sujet de l’exil ou celui de l’identité, ne constituent pas une interrogation aussi centrale chez les romanciers tunisiens. Ce qui est le plus en jeu dans leurs romans, à notre sens, c’est plutôt la langue : comment écrire en français ? Comment dire et décrire le réel tunisien en français ? Voilà la question lancinante qui parcourt la plupart des œuvres tunisiennes et remodèle poétiquement leur matière, si bien que l’écriture s’apparente, dans certains cas, comme Talisman d’Abdelwaheb Meddeb ou Voix Barbares d’Ali Abbassi ou encore Les Lendemains d’hier d’Ali Bécheur, à une exploration des potentialités du langage.

C’est cet aspect que devrait à présent focaliser notre intérêt, non seulement parce qu’il représente une composante constante dans cette littérature, mais surtout parce qu’il y épouse une caractéristique dominante : le texte est ponctué de plusieurs termes d’origine arabe, ou plus précisément de vocables puisés dans le dialecte tunisien. Il s’agit d’un lexique particulier qu’un lecteur non tunisien ne peut comprendre ou saisir dans toutes ses nuances connotatives. C’est d’ailleurs pour cette raison que certains auteurs prennent soin d’en fournir une explication sous forme de notes au bas de la page ou de glossaire récapitulatif à la fin de l’ouvrage.

Quelle est la portée linguistique de l’inscription du lexique arabe dans un texte en français ? Quels sont les enjeux rhétoriques et par conséquent esthétiques dans une écriture génératrice d’interférences linguistiques ?

Pour tenter d’y répondre, nous devons d’abord rappeler que les deux langues qui parcourent le roman tunisien d’expression française ont chacune une tonalité ou une facture particulière. En effet, alors que la langue française est souvent normative et classique, la langue arabe, elle, est puisée dans le terroir verbal local, c’est-à-dire une langue essentiellement orale que l’auteur transcrit fidèlement dans une graphie latine. Si dans ce lexique dialectal, certains lexèmes sont effectivement difficiles à traduire, parce qu’ils n’ont pas d’équivalents en français, tels les termes relevant de la tradition culinaire ou de la tradition vestimentaire(4), d’autres au contraire sont parfaitement traduisibles comme “Aïd” (fête religieuse), “Am” (oncle), “Khalti” (tante) ou encore “Si”(Monsieur), ”La”(Madame). L’insertion de ces termes n’a pas seulement pour but de produire un effet stylistique particulier, mais sert surtout à marquer une origine et à souligner une appartenance culturelle. La finalité escomptée est donc d’ethniciser en quelque sorte le discours et le rattacher à une coloration culturelle locale.

Les termes arabes irradient le texte écrit en français et lui donnent une tonalité particulière où le langage cherche à représenter ou encore à épouser le réel tunisien. C’est ce qu’une certaine critique, à caractère ethnographique, qualifie de “tunisianité” dont le trait dominant serait d’inscrire le texte, soit dans la perspective d’une revendication identitaire, soit en rapport immédiat avec la problématique de “l’altérité”.

Mais qu’est-ce qu’on entend par tunisianité ?

A notre sens, cette notion ne doit pas se réduire à évoquer la réalité sociale et locale du pays et ses mutations historiques et culturelles, mais vise surtout à transposer sur le mode du discours littéraire, les schèmes linguistiques de communication spécifiques à la Tunisie.

En effet, en faisant interférer le français avec l’arabe, le roman tunisien d’expression française ne cherche pas à cultiver ou à promouvoir un quelconque bilinguisme, car les interférences entre les deux langues inscrivent de fait le roman dans la logique de la diglossie. Ce principe même caractérise l’arabe, en tant que langue constituée d’un versant classique et d’un autre dialectal, c’est-à-dire d’un côté, l’écrit savant, et de l’autre, l’oral populaire. Dans ce sens, le roman reproduit un dispositif linguistique fondé sur une nette distinction entre deux codes ou deux registres : l’écriture et la parole.

Pour reprendre la terminologie saussurienne, nous pouvons dire que la parole, en tant qu’actualisation individuelle de la langue, est intimement liée au principe diglossique de la langue sociétale. La diglossie permet ainsi non seulement de décrire une langue et de cerner ses caractéristiques spécifiques d’usage, mais constitue, dans ce processus d’écriture et de création, le principe fondamental régissant le projet romanesque et le modèle à suivre pour composer un discours littéraire. En d’autres termes, pour plusieurs romanciers tunisiens d’expression française, écrire, c’est suivre une ligne médiane où se croisent une langue maternelle et dialectale (l’arabe), et une autre langue écrite et apprise (le français).

Un telle approche de la création, qui a tout l’air d’une opération alchimique, aboutit à l’émergence non d’une nouvelle langue, née d’une certaine mixité linguistique, comme la langue créole par exemple, mais d’un nouveau discours où les signes, tout en étant proches et intimement liés dans l’ordre de leur juxtaposition, ne se confondent pas et demeurent nettement différenciés par des traits typographiques distincts. C’est ainsi que les romanciers utilisent le caractère italique pour les mots d’origine arabe et réservent le caractère romain pour le reste du texte en français.

”L’italique, note Antoine Compagnon, est une instance, une revendication de l’énonciation (...) J’écris en italiques mon lexique intime, un dictionnaire polyglotte ou idiolectal, mon encyclopédie personnelle. Ainsi, dans l’italique, je suis plus présent qu’ailleurs, l’italique est narcissique” (°5). Dans le même ordre d’idées, Kerbrat-Orecchioni démontre, dans son ouvrage sur l’énonciation, comment ces mots en italiques modalisent le fonctionnement des expressions et surtout le degré d’adhésion du sujet d’énonciation au contenu asserté car “le mot en italique de l’énonciation relève de la subjectivité modalisatrice de l’énoncé”(6).

Les mots arabes transcrits en italiques renvoient donc à leur origine. Ils sont par conséquent, pour reprendre la thèse d’Antoine Compagnon, souvenance d’une origine, celle du jeu de l’enfant et surtout du langage de l’enfant. Prenons un exemple : le vocable “Am” dans Du miel et d’Aloès d’Ali Bécheur (p92) est un terme du dialecte tunisien transcrit dans une graphie latine et en caractères italiques, dans le but de le distinguer du corps du texte et de le doter d’une charge expressive et connotative. Le vocable finit par irradier dans l’ensemble du contexte où il se trouve, un contexte précisément où domine le travail de la mémoire, dans la mesure où l’évocation du passé se traduit d’une façon quasi-systématique par un recours au lexique relatif au milieu familial et donc lié à l’enfance. La mémoire dont il s’agit ici, et qui traverse le récit, est la mémoire des mots. Comme chez Proust, le vocable charrie, à travers sa valeur connotative et ses sonorités, des couleurs, des sensations et des émotions. Tout un pan du substrat culturel local se trouve ainsi ravivé et cristallisé dans ce vocable, comme l’illustre clairement ce passage du roman d’Amna Bel Hadj Yahia Chronique Frontalière :

« Il (le grand-père) fit l’effort de les saluer (sa fille et sa petite-fille), puis dit « à sa fille sur un ton grave qu’il était inadmissible qu’elle arrivât “zonta” (7) chez « lui ». zonta=nue.

« Sur la tête de Zeineb, le mot tomba comme un couperet. Quel effet fit-il à sa « mère ? Elle ne le sut jamais.

« “Zontagarde encore dans son oreille une drôle de résonance. Mot chargé de « honte et de peur. Mot crime à la figure.

« (...) Les sonorités de “Zonta” sont froides et coupantes comme un scalpel.

« Méchantes, elles se frayent leur mince chemin en s’enfonçant bruyamment dans « la chair vive ...” (7).

Ce texte d’Amna Bel Hadj Yahia nous montre que l’écriture se déploie autour du vocable du dialecte tunisien “Zonta” afin de l’interroger, le cerner, l’explorer, si bien que la narration tend plutôt à porter sur ce métadiscours. (8)

Le recours au lexique arabe et notamment la distinction entre caractère italique et caractère romain a pour effet majeur de dissocier la page imprimée de son ancêtre manuscrit et de conduire l’écrivain à montrer que son écriture puise dans deux sources distinctes. D’un côté, des vocables arabes, transcrits comme “citations”, comme réécriture d’un texte fondateur. Et de l’autre, un texte second, actuel dont l’incipit s’inscrit dans le présent de l’énonciation.

Cela signifie que nous avons là deux textes superposés, un texte initial et un autre second, donc deux textes dont le croisement ou plus précisément le télescopage renvoie à ce que Gérard Genette appelle “l’écriture palimpseste”. Autrement dit, le roman est écrit comme sur un parchemin où le premier texte ne peut être effacé ou gommé totalement, puisqu’il en reste immanquablement quelque chose, c’est-à-dire des bribes de mots qui demeurent indélébiles et fortement collés sur le parchemin, si bien qu’ils réapparaissent au cœur du second texte.

L’écriture palimpseste marque la généalogie de l’œuvre, dans la mesure où elle laisse voir la diachronie des constituants de sa matière narrative : le passé de l’enfance et le présent de l’énonciation.

En pastichant Genette, nous pouvons dire que le romancier, parti pour exprimer la réalité immédiate dans une langue apprise ou dans une rhétorique recherchée, se trouve conduit à rejoindre un réel identitaire dont le fondement repose sur un “signifiant arabe”. Ce dernier, en renvoyant à un univers culturel et linguistique particulier ou local, en l’occurrence la Tunisie, peut être assimilé à une métonymie. De ce point de vue, l’écriture chez le romancier tunisien d’expression française n’est pas le lieu d’une simple rencontre entre deux langues, (le roman, faut-il le rappeler, n’est pas un texte bilingue, mais bel et bien un texte en français), mais plutôt le lieu d’une expérimentation rhétorique visant à cerner ou à contenir le présent et le passé, la parole et l’écriture, le moi de l’enfant et la conscience du sujet écrivant. Sans doute est-ce pour cette raison que tous les romans tunisiens d’expression française, où on recourt au lexique arabe, ont souvent une nette facture autobiographique. Dans ce sens, Les mots d’origine arabe apparaissent donc non comme de simples vocables, mais comme des éléments ou notations qui composent une texture herméneutique où sont greffées les traces de l’enfance à côté de la voix du narrateur.

Les mots sont les choses. Mais les choses ne sont saisissables que par le biais du matériau sonore, musical et vibrant des vocables, comme si la vocation d’être écrivain n’était pas conditionnée seulement par la maîtrise de la langue scripturale (le français), mais surtout par un retour à la langue d’origine et à la mémoire des mots. Ainsi, contrairement au roman marocain ou algérien, le roman tunisien en français n’est ni un roman de résistance, ni un roman de revendication identitaire, mais un roman qui s’articule autour d’un autre enjeu : décrypter les repères d’un moi à travers l’archéologie d’un idiome.

L’écriture est de ce point de vue une façon de fouiller, de gratter ou de creuser le relief des mots avec d’autres mots. Autrement dit, le romancier utilise une langue pour revisiter une autre langue, dans la mesure où le bilinguisme, tel qu’il apparaît dans le discours littéraire, relève donc du domaine du métalangage, c’est-à-dire des mots éclairés par d’autres mots, mais sans que la distance qui les sépare ne soit comblée ou effacée.

Entre les deux langues, « la dissociation est naturelle et la synthèse est impossible ». Et c’est précisément dans cette marge de différence ou d’écart que le roman d’expression française puise sa matière et sa configuration. C’est ce qui illustre, mieux que tout autre discours théorique, la situation exacte du bilinguisme dans la Tunisie d’aujourd’hui.

Cette cohabitation linguistique est vécue donc sur le mode d’un décalage entre le français et l’arabe qui fonctionnent, dans cette relation “insolite” de contiguïté et selon un système qui n’est ni clos, ni ouvert. C’est pourquoi nous pouvons dire que le bilinguisme, tel qu’il est pratiqué en Tunisie, est en vérité un “co-linguisme”, selon l’expression de Renée Balilar (9).

Kamel Ben Ouanès

Notes :

1- Le journal “LE TEMPS”

2-Le journal “LE QUOTIDIEN”

3- Frej Lahouar “Ennafir wal kiyama”(La trompette de la résurrection), Kamel Gaha “Al maou wa el jamrou”(L’eau et la braise), et Hafedh Jedidi “Al kabaou wa el Metraqa” (La cave et le Marteau).

4- “samsa”, “graïaba” ou djebba”, etc...

5- Antoine Campagnon, La seconde main ou le travail de la citation

Cérès Editions (Tunis) 1997, P50

6- Kerbrat-Orecchioni C., L’Enonciation. De la subjectivité dans le langage, Paris, Armand Colin, 1980. P129

7- “Zonta”signifie nue. Cependant, dans le contexte, l’emploi du terme a une valeur hyperbolique dans la mesure où aux yeux du père, une femme non voilée et qui garde le visage découvert dans la rue est considérée comme nue.

8- On trouve des choses similaires, mais sur un ton sarcastique, chez Faouzi Mallah dans “le conclave des pleureuses” (p13). Ou encore chez Ali Bécheur “De miel et d’Aloès”, à la faveur de l’évocation des vocables, tels que “chili” p95-96, ou “skifa” (p88.)

9-Renée Balibar, L’institution du français. Essai sur le colinguisme des Carolingiens à la République, P.U.F. 1985.