Mme Neila Ben Harbi, L’école est finie, parcours d’une enseignante, MC- Editions, 2009, Tunis, 158 pages, ISBN : 978-9973-807-95-3.

   A l’heure où notre école et ses protagonistes, du primaire au supérieur, sombrent dans une profonde dépression, le témoignage de la jeune retraitée, Mme Harbi, intitulé L’école est finie, est paradoxalement un excellent antidote contre le désespoir régnant. Professeur de français au lycée durant les trois dernières décennies, l’auteur relate, sans fioritures, son parcours professionnel qui s’achève en 2004. Elle ne propose pas de solutions à la crise actuelle ni ne s’inscrit dans la polémique qui l’accompagne. Mais ce livre a des vertus thérapeutiques certaines. Eprise du pupitre, du tableau noir et des « mômes », cette femme nous redonne le courage d’y croire. Quelle cure pour des âmes si longtemps blessées !


  Tout au long de ce périple, cette enseignante a fait de son implication directe dans la formation et la vie des apprenants une exigence intérieure et personnelle, n’en déplaise aux pédagogues qui redoutent depuis toujours cette proximité. Tant pis si le professeur y a laissé des plumes en cours de route ! Et Mme Harbi tient à le rappeler à plusieurs endroits de son texte. Elle s’en veut toujours d’avoir parfois manqué d’audace, de présence d’esprit ou de force de conviction, pour venir en aide à des jeunes lycéens en détresse.

   Elle n’écrit pas ce témoignage seulement par devoir. D’ailleurs, elle n’entend pas mettre en avant cette exigence nationale, sans doute par pudeur . C’est que l’amour du métier y est aussi pour beaucoup. Il est même la motivation essentielle de ce livre. De la première séance de classe avec les gaillards de la première année 16, en 1970, aux délibérations des résultats du bac par ordinateur en 98, beaucoup d’eau a coulé sous nos ponts, beaucoup de générations d’élèves ont défilé devant l’enseignante de français. Mais l’amour qu’elle portait à cette jeunesse des écoles, à Tunis comme à Bizerte, est toujours entier. Aujourd’hui, la scène de classe lui manque terriblement. Elle la vit comme un arrachement ou une séparation amoureuse : « Tous me manquent au- delà de toute expression, car jamais plus je ne m’assiérai devant eux, jamais plus je ne les ferai rire ou grogner, jamais plus je passerai dans les rangées en respirant leurs odeurs d’adolescents : cocasse mélange d’eau de toilette, de sueur, de tabac, de plastic et de vêtements humides qui restera toujours pour moi une irremplaçable odeur d’élèves que je buvais sensuellement à longs traits ».

   Affranchies de la procédure pédagogique et de son jargon pesant, Les cent cinquante- huit pages qui composent le livre sont émaillées de rencontres heureuses et d’incidents malheureux avec les adolescents, filles et garçons. Cette affection sincère qui emplit l’ouvrage transforme le parcours ordinaire d’une enseignante en un destin exceptionnel. Elle redonne aujourd’hui tout son sens à un métier en péril. Je ne veux pas verser dans le pessimisme ringard, mais je ne sais pas si pareille générosité, pareille passion, pareille implication seraient possibles aujourd’hui. L’engagement de Mme Harbi est, à coup sûr, une ascèse difficile à vivre par les temps qui courent. D’ailleurs, son pari aurait été impossible à tenir même à cette époque-là, si elle n’avait pas associé à l’enseignement la culture, à sa pratique de la pédagogie celle du théâtre. Le professeur raconte que plusieurs « mômes », souvent intimidés en classe par la figure professorale, se révélaient à eux-mêmes et aux autres sur la petite scène du théâtre scolaire. Quand ils n’avaient pas la chance de faire partie de la petite troupe , ils venaient, en supporters bruyants et joyeux, soutenir leurs copains. 

  Le vacarme de jeunesse qui accompagnait les activités culturelles, les compétitions et les représentations était aussi formateur que l’auguste savoir dispensé en classe. Telle est sans doute la leçon que l’on peut tirer de ce petit ouvrage. De ces activités culturelles ou parascolaires , il ne reste, hélas, presque rien. Dans ce temps de crise , il va sans dire que l’on ne peut pas réformer l’enseignement en reconduisant le modèle et l’esprit d’antan. Qu’une nouvelle institution scolaire soit à bâtir de fond en comble, cela ne fait pas l’ombre d’un doute. 

  Cependant l’école est aujourd’hui malade, très malade. Elle en appelle à la parole des acteurs : ceux et celles qui endossèrent, en plus de la blouse blanche, le rôle, ô combien ! redoutable d’avoir fait accéder la jeunesse tunisienne d’alors au savoir, à la culture et au monde moderne. Au terme de son parcours d’enseignante, Mme Harbi a donc répondu à l’appel. 

   Enfants de la République, à vos plumes ! l’école publique a besoin de vous .
                                                                                    Chaâbane Harbaoui