Hédi Zarrouk, La maison sur la colline, Editions Nirvana, Tunis, 2005. Prix Comar 2005

 


  La maison sur la colline de Hédi Zarrouk est une autobiographie romancée écrite à la première personne. Le nom propre cité dans la dédicace et repris à la fin du roman assure ce lien entre fiction et réalité. L’histoire racontée a lieu en Tunisie à l’époque coloniale.

C’est celle d’un enfant né d’une mère européenne et d’un père tunisien arabo-musulman. N’ayant pas supporté les mœurs de sa belle famille, la jeune femme fuit le domicile conjugal et réussit à garder son fils avec elle. Elle l’élève avec son second mari, médecin français, qui lui donne son nom. La conjoncture historique étant ce qu’elle était, il était facile de se procurer les papiers qu’il fallait. L’enfant sera donc de nationalité française et ne verra jamais son vrai père. Tout en sentant un mystère planer autour de lui, bien éduqué qu’il était, l’enfant ne posera pas de questions, mais se sentira en décalage par rapport à la réalité du monde qui l’entourait. La figure de la mère, présente/absente dans le texte, est à l’image de cette parole empêchée. Désir et peur de savoir.
   
 Ainsi, le texte, lieu d’émotions diverses et qui puise sa matière dans les souvenirs, sera-t-il en quelque sorte le produit des bribes d’histoire que la mémoire ramène à elle à la faveur d’association d’idées, de retours en arrière et de parenthèses. Le sujet du discours, qui cherche la réconciliation avec son passé, assure l’unité de l’œuvre écrite dans une langue très élégante. L’écriture permettra peut être au narrateur de résorber cette crise identitaire et d’admettre l’hétérogène là où l’on cherche à unifier sa propre image.
   
 Entreprendre d’écrire sa vie, prendre la plume pour dire « je », c’est parler en même temps de « l’autre », celui que l’on était dans le passé, mais peut-être aussi de l’autre que l’on est au moment même de l’écriture. Hédi Zarrouk écrit pour expliciter ce qui a été occulté, pour parler après s’être tu comme on l’a voulu, pour ne plus être complice du silence bourgeois qui cherche à sauver les apparences, et surtout pour ramener l’enfant qu'il était à la réalité. Le narrateur se penche tendrement sur cet être fragile pour lui faire refaire le chemin qui l’a mené vers l’âge adulte, mais sous un éclairage édifiant car il narre, explique et commente à la fois.
   
 La maison sur la colline, paru aux Editions Nirvana, prix Comar 2005, désigne le lieu où le narrateur enfant passait ses vacances. Le titre pourrait être lu comme une métonymie renvoyant au sujet du discours dont l’équilibre est aussi précaire que ce point d’ancrage bâti sur une extrémité de la colline. Evoquant la maison où il est né, le narrateur précise : « Et, telle quelle, c’était la forteresse où je me retranchais, qui me protégeait d’un monde vaguement menaçant, trop plein d’incertitudes et de mystères »
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  Dans cette œuvre, la voix narrative adopte un ton de confidence qui touche le lecteur tout en évitant le mélodrame. Sans exclure l’émotion, la maturité du narrateur renseigne sur la vie quotidienne de la Tunisie de l’époque et nous donne une idée sur l’état d’esprit qui régnait, en mettant ainsi en exergue le paradoxe entre les principes républicains qu’on enseignait alors et la pratique de la ségrégation sociale : « Une teinture culturelle indélébile avait peu à peu imprégné la société locale, dans ses jeunes élites, qui dans le droit fil de la pensée révolutionnaire,- celle de la grande Révolution Française,- prônait des vertus civiques très républicaines. Le décalage avec la réalité quotidienne qui maintenait sans vouloir l’avouer une impitoyable ségrégation sociale se faisait plus insupportable. Pouvait-on accepter plus longtemps que les beaux principes d’un enseignement si largement dispensé soient contredits par les réalités quotidiennes ? ». Dans La maison sur la colline de Hédi Zarrouk, la division et la ségrégation affectent la disposition de l’espace: « Deux mondes juxtaposés dans la situation particulière instaurée par l’occupation coloniale, s’étaient séparés et la division me traversait, érigeant en incompatibilité permanente une dualité, celle de ma nature propre, telle qu’on l’avait faite ».

  Cette impression d’identité altérée se trouve déjà exprimée dans De miel et d’Aloès de Ali Bécheur qui écrit à propos de la même situation historique :« …deux humanités juxtaposées, et entre elles, la ségrégation qui divise, répartit, assigne les Arabes à la médina et les roumis à la ville neuve ; à l’un sa Providence, à l’autre son Mektoub. Un partage du monde, où tel un lierre têtu, s’enlace une histoire de vainqueurs et de vaincus, de colonisés et de conquérants. ». Pour Hédi Zarrouk, l’histoire du pays et la sienne sont fortement mêlées. Il cherche à résorber cette fêlure engendrée par une situation historique que l’enfant a subie au plus profond de lui-même. Sa mère, voulant le protéger, lui a caché son origine, tels les politiciens de l’époque, qui croyaient avoir sauvé la Tunisie de la débâcle en la plaçant sous le régime du protectorat. Mais a-t-on le droit de juger l’Histoire ? A-t-on le droit de condamner la mère de cet enfant ? A-t-on surtout le droit de faire ce genre de comparaisons ? La vie de l’individu est- elle à la mesure de l’Histoire munie de « sa grande hache » ?
  Yosr BLAÏECH