Roger Casemajor, L’Action nationaliste  en Tunisie, Sud –Edition, Tunis, 2009, préface de Hassine- Raouf- Hamza,  235 pages, 16 DT, ISBN : 978-9938-01-006-0.

Roger Casemajor, L’Action nationaliste  en Tunisie, m-c  éditions, Tunis, 2009, 329 pages, 20 DT, (16E), ISBN : 978-9973-807-98-4.

 Edité en 1948 pour les besoins de l’administration coloniale, ce rapport secret des Renseignements Généraux, intitulé L’Action nationaliste  en Tunisie, vient de tomber dans le domaine public. Deux éditeurs tunisiens Sud-Edition et M-C Editions s’empressent de le publier. On aurait pu éviter au livre ce  double emploi éditorial, si l’on s’était un peu concerté. Peut-être le ferait-on dans l’avenir. Son auteur, Roger  Casemajor, était un haut fonctionnaire de la Sécurité sous le Protectorat pendant une très longue période. Son rapport est composé de cinq grandes sections couvrant le mouvement nationaliste depuis ses origines, à la fin du XIXe siècle,  jusqu’à la mort de Moncef Bey, en 1948. Lacunaire à bien des égards et véhiculant les préjugés du fonctionnaire colonial vis-à-vis  des dirigeants nationalistes, ce livre  a, d’un point de vue historique,  un intérêt qui s’avère fort limité à la lumière des recherches plus récentes et plus professionnelles.

 Mais il demeure, au plan documentaire, un écrit de tout premier ordre. Dans sa préface au livre chez Sud-Edition, l’historien Hassine -Raouf Hamza rappelle sa valeur historiographique:  «[…], durant toute la période où les fonds d’archives du Quai d’Orsay et de la Résidence Générale( l’actuel fonds  de Nantes) étaient encore tout au moins en partie fermés aux chercheurs et même après l’ouverture[….], cet ouvrage qui se présente comme une sorte de synthèse générale composée et « confectionnée » des divers documents produits par les services administratifs et les renseignements français, a été pour les chercheurs  qui s’intéressaient alors à l’histoire du mouvement national un ouvrage bien précieux et incontournable ».

 Le Professeur Hamza, qui a signé la préface pour Sud-Edition, a également annoté le texte. Son apparat critique en facilite beaucoup la lecture. Cette réédition est plus complète ; elle contient, en plus du  long premier tome consacré aux « Faits »,  une éphéméride et  un second tome de  trente cinq pages, intitulé « Les Hommes », dans lequel Casemajor  a consigné une biographie sommaire des principaux dirigeants nationalistes  tunisiens d’alors.

                                        

                             ****************

 Aïcha Ibrahim, Le Sarment, une saison à Kerkennah, M-C  Editions, 2009, Tunis, 439 pages, 20dt (16E), ISBN : 978-9938-807-12-7.

            Le Sarment  d’Aïcha Ibrahim est un hymne à la gloire d’une femme,  Fatouma,  et d’une île, Kekennah. Mais c’est un hymne à l’antique manière grecque, au sens  que l’on donnait à ce chant qui célébrait dans la ferveur un Dieu, un héros ou  une cité. L’île, qui tire son nom du mot romain  Circina, s’y prête d’ailleurs fort bien. Pour dire son attachement authentique au souvenir  de Fatouma, l’insulaire, Aïcha Ibrahim a choisi le parti de la démesure métaphorique.  Qu’importe si la prédication charrie dans  sa coulée des clichés, des tropes usés et des idées reçues ? Seul l’excès libère de la douleur due à la souvenance débordante. Formé de plusieurs sections sur l’île, la mer, le littoral, la pêche et les pratiques insulaires ancestrales, etc.,  Le Sarment est un livre de souvenirs, mais il est  atypique. Il ne faut pas s’efforcer de lui trouver des chaînons narratifs, pour la bonne raison qu’il n’en a pas ; ou plutôt qu’il refuse d’en avoir, hormis le lien  de   Fatouma. Personnage emblématique. Ses nombreux portraits lui confèrent, au fil des pages bien plus qu’une présence, une aura aux effets incantatoires. L’évocation de Lalla Fatouma donne lieu à des digressions successives à propos de l’histoire de Kerkennah, de sa topographie et des hommes célèbres, historiques ou fictifs, qui foulèrent  jadis son sol. Fattouma  invite l’auteure à des pérégrinations imprévues et l’emmène dans des déambulations imaginaires. Cités en épigraphe et convoqués à ce banquet universel, Les Baudelaire, Cervantès, Homère, etc.,  rendent la référence incontournable.

 Le  Sarment, qui se veut le serment d’une fidélité indéfectible à une femme et à son île,  est aussi l’expression libre d’un affect surabondant. L’ouvrage se prête alors  difficilement à la composition  suivie que nécessite un livre. A cause de la densité du référent littéraire et mémoriel, le Sarment encourt parfois la saturation sémantique et sa lecture n’en est que plus problématique. Aussi  Aïcha Ibrahim, le peintre, vient-elle à la rescousse de l’écrivaine. Elle nous offre, à la fin de chaque section du texte, des  portraits et paysages croqués souvent  au crayon, dont la beauté et la fluidité  s’avèrent  particulièrement apaisantes. Tant mieux si, à la fin du livre, le texte cède totalement  la place à la peinture : plus de 20 toiles. Un vrai régal pour les yeux et pour l’esprit. C’est dire combien la sérénité du peintre atténue les ardeurs de l’écrivaine lyrique !

 

                                 ****************

 Dialogue et intertextualité dans l’œuvre de Kateb Yacine, textes réunis par Rabâa Abdelkéfi Ben Achour, colloque international, Institut Supérieur des Langues de Tunis, les 22 et 23 février 2005, Ed. Sahar avec le concours  de l’Institut Français de Coopération, 2009, 178 pages, prix : 10 DT (10E), ISBN : 9789973282897.

 Réparties en quatre ensembles thématiques, les quinze communications qui composent ces actes traitent successivement de la biographie de Kateb Yacine,  de son engagement politique, des « jeux de son écriture »  et des mythes qui informent son œuvre. Mais c’est surtout Nedjma qui suscite toujours la curiosité et incite à l’interrogation. Samir Marzouki, Charles Bonn et Mansour  Mhenni revisitent  ce roman  hybride pour en souligner les paradoxes linguistique, thématique et générique. D’autres, s’inscrivant dans une perspective intertextuelle,  le soumettent  à des lectures croisées. Rabâa Abdelkéfi, par exemple, explicite les similitudes topiques et imaginaires entre Nedjma  et Voyage en Orient de Nerval ; Mireille Ribière voit dans la « poétique de l’absence » l’enjeu d’une parenté problématique entre ce roman   et W ou le souvenir d’enfance de  Georges Perec.

 Parce qu’il s’intéresse également aux facettes moins connues de Kateb Yacine (dramaturge et préfacier  d’auteurs mineurs de son temps), le colloque apporte des éclairages édifiants sur la biographie de l’homme, sur ses prises de positions politiques et autres qu’on a tendance à oublier ou que le statut de romancier semble avoir occultées.

                                              Chaâbane   Harbaoui