Jean Claude Versini est auteur de deux récits dont l’axe d’intérêt est la Tunisie, terre de son enfance.  Ghar El Melh, l’enfant du Lazaret, et Bizerte, les Ados de l’Indépendance s’articulent bien sûr autour des souvenirs d’enfance, avec de surcroît une teinte nostalgique d’un paradis perdu que l’écriture cherche à retrouver, ressusciter, réanimer et à lui donner forme et consistance.

 Le poète Slaheddine Haddad a rencontré Jean Claude Versini et a réalisé avec lui l’entretien suivant :

 

                     Ecrire, c’est conjurer l’oubli. 

 

 -Vous venez de publier simultanément aux éditions NIRVANA, deux récits autobiographiques intitulés : Ghar El Melh, l'enfant du Lazaret (2007) et Bizerte, les Ados de l'Indépendance, (2009). Cette soudaine conversion à l'écriture  vous venait-elle d'une vive envie ou d'une contrainte

 

 

     Je n’ai jamais imaginé qu’un jour je puisse prendre la plume pour raconter mes souvenirs d’enfance et d’adolescence !.....Mais, ces années défilaient sans cesse dans ma mémoire-un peu trop- : à la moindre occasion je parlais de la Tunisie, j’évoquais Porto Farina, ses forts, son port de pêche et sa magnifique plage de Sidi Ali El Mekki.

Je racontais aussi la vie de ces hommes pour la plupart enchaînés, leurs journées, leurs occupations, leurs aventures, je soulignais le contraste entre ce cadre paradisiaque et ce qui se passait à l’intérieur du fort. Ces années devenaient obsédantes ; images, émotions m’envahissaient et ce trop plein s’est exprimé dans l’écriture. Oui,  il s’agissait bien d’une contrainte intérieure mais l’envie est née de cette contrainte. Envie de me raconter, de faire connaître, de faire partager et puis, le pas franchi, envie de raconter cette adolescence un peu particulière à Bizerte au moment de l’indépendance. Besoin donc d’exprimer le vécu, les difficultés rencontrées, bref le désarroi dans lequel je me suis trouvé plongé ainsi que d’autres ados. L’écriture a été pour moi aussi une façon de conjurer l’oubli : je craignais que tout ce passé ne disparût de ma mémoire.

 

 

 - En 2004, au cours d'un court entretien, vous me confiez ne pas savoir si votre déplacement à Ghar El Melh était pour vous une punition ou la promotion professionnelle naturelle  de votre père ?

 

    C’était la guerre, nous vivions à Tunis, rue de Strasbourg. Mon père avait obtenu une promotion : de simple gardien de prison, il devenait responsable d’un bagne ; cette mutation était aussi pour lui le moyen de nous mettre à l’abri des vicissitudes du quotidien en cette période de guerre. En effet, chaque jour, ma mère, munie de tickets, se rendait en ville pour faire les courses ; les files d’attente étaient importantes ; elle rentrait fatiguée et retrouvait dans le petit appartement que nous occupions, quatre garnements qui avaient fait les 400 coups…. Punitions, menaces s’abattaient alors sur nous. Lorsque l’enfant que j’étais se retrouva devant ce fort, devant cette lourde porte, en présence de ces hommes enchaînés, la réalité lui parut tout autre. Il ne pouvait s’agir d’une promotion puisqu’ils étaient enfermés ; la culpabilité de l’enfant, auteur de nombreuses bêtises, les menaces de ses parents firent le reste : ils étaient punis !...Mais cela dura le temps de m’approprier les lieux, de tomber sous le charme de cet environnement : 

J’étais heureux et la raison de notre venue ici m’importait peu désormais.

 

 - Dans Bizerte, les Ados de l'Indépendance, on voit se dessiner une souffrance de l'incompréhension et une difficulté d'être ?

 

           Bizerte évoque pour moi une période heureuse où nous vivions tous en bonne entente, adolescents appartenant à différentes communautés, où une amitié sincère et profonde s’était créée avec un Tunisien. A ce moment- là, aucune préoccupation d’ordre politique ne troublait notre vie d’ados insouciants. Mais l’Histoire était en marche…..notre ciel s’obscurcit peu à peu, la méfiance, la suspicion s’insinuèrent dans les relations, en ville, au collège même ; on vivait dans un climat d’inquiétude. Quelque chose se passait : mais quoi ? Mon ami tunisien s’éloignait peu à peu de moi, répondait évasivement à mes questions. Mes parents ne parlaient pas…Je souffrais plus de ne pas comprendre que de ne pas être compris car au fond de moi , j’étais français et tunisien , la Tunisie était mon pays, alors , pourquoi, ces attitudes à mon égard ? La difficulté d’être venait justement de là : français d’origine mais…tunisien de cœur – De quel côté aller ? Quel choix faire puisque j’étais né ici et n’avait aucune attache en France.  Je me suis jeté à l’eau, c’est le cas de le dire, en m’engageant dans la marine !.... Incompréhension et sentiment d’injustice.

       Plus tard, la situation me parut absurde quand je me retrouvais dans le camp adverse…..

 

- Aujourd'hui, le fait  que vous veniez en Tunisie trois ou quatre fois par an, cela signifie-t-il que vous ayez atteint le stade de la réconciliation ?

 

       Réconciliation ? ! Non ! Je n’ai jamais été en désamour avec la Tunisie. Je n’ai eu à son égard aucun ressentiment, aucune animosité, les Tunisiens aspiraient à être maîtres dans leur pays, quoi de plus normal ? Mais ce pays était aussi le mien, d’où l’incompréhension d’alors. Vingt cinq ans plus tard, le hasard a voulu que l’on me confiât une mission : fonder une entreprise d’articles scolaires pour le compte d’un Tunisien ; joie des retrouvailles, bonheur de rentrer chez soi, du retour à la maison !…

 

- Chaque année, j'ai ce plaisir de vous rencontrer au début de chaque été à Ghar El Melh où se tiennent les  Rencontres Internationales de la Photographie. On dirait que cela semble important pour vous ?

 

     Bien que les rencontres internationales de la photo soient pour moi un moment privilégié , par la manifestation elle-même , mais surtout par les échanges , les rencontres et les partages de moments forts avec des personnes de toutes nationalités , le plus important pour moi , c’est le lieu , le fort « le Lazaret » qui quelque part est un peu ma propriété  Lors de ma première participation aux rencontres , quelque chose d’incompréhensible s’est manifesté en moi ; voir toutes ces personnes investir le fort , monter sur le chemin de ronde , là où nous habitions , se faire photographier devant « ma » guérite me gênait énormément : on investissait « ma » maison ! mais l’adulte a su faire taire  l’enfant du Lazaret  Et c’est une immense joie pour moi de voir que le Fort  renaît et connaît une autre vie. J’ai toujours plaisir à venir bavarder avec mes amis ; Ghar El melh sera toujours ma potion magique

 

 - Peut-on dire que vos projets d'écriture se poursuivent actuellement et y a-t une raison à cela ?

 

       Ecrire est un bien grand mot pour moi, mon premier récit  L’enfant du Lazaret  était écrit quelque part au fond de moi depuis très longtemps. Le second, Bizerte les ados de l’indépendance,  s’est imposé à moi et est aussi un hommage à un ami tunisien que j’espère retrouver un jour. J’ai un projet en cours actuellement, un troisième ouvrage sur ma vie professionnelle en Tunisie  qui, étrangement, m’a fait vivre les évènements « historiques de ce pays ». Ensuite, j’arrêterais là mes travaux d’écriture…Ma source d’inspiration sur la Tunisie étant épuisée !.....

 

Entretien avec Jean Claude Versini conduit par Slaheddine Haddad

 

Mis à jour ( Mercredi, 27 Janvier 2010 07:30 )