Sophie El Goulli, Hashtart à la naissance de Carthage, Cérès Editions, 2004, 142 p. 
ISBN 9973-19-621-X


    Le talent de conteuse de Sophie El Goulli se confirme dans Hashtart à la naissance de Carthage. Peuplée des angoisses et des dérives sentimentales d’une enfant, l’œuvre nous plonge dans l’univers à la fois tragique et fantastique d’une âme en perdition.
Hashtart, l’enfant adoptive de la reine de Carthage Elyssa, voit sa mère s’immoler au feu pour sauver son peuple de la colère du roi des Numides. Ayant accepté par ruse de s’unir à lui, elle décide de rejoindre son époux aimé dans l’au-delà : c’était la volonté des Dieux, jaloux du bonheur de la reine et de l’étendue de sa souveraineté. Le jour du sacrifice, Hashtart fuit le spectacle de l’immolation, elle amorce une descente dans le vide que rien ni personne n’auraient pu arrêter. Deux jours plus tard, elle est retrouvée, à moitié morte, par des bergers d’un village numide. Mise sous la protection du roi qui allait être l’époux de sa mère, elle renaît progressivement à la vie. Iarbas l’élève comme si c’était sa troisième sœur. Il finira par en tomber amoureux et l’épousera après le mariage de ses deux sœurs, non sans avoir demandé sa main aux puissants de Carthage. Ainsi, « ce qui n’a pas été sera » et cette union empêchée du roi et d’Elyssa se trouve remplacée par une alliance plus profonde, car elle est due à l’amour et non aux calculs politiques. 
 
   La toile de fond est, encore une fois, l’Histoire fort ancienne, celle qui remonte à la naissance de Carthage. En prologue, figure Hannibal qui prie la Reine Elyssa et la Déesse Tanit de protéger Carthage de toute destruction. Plutôt que de la vie d’Hashtart, n’est-il pas plutôt question de la longue vie de Carthage et de sa destruction tragique, destruction imminente prédite par Elyssa apparue lors d’un songe à Hashtart puis pressentie par Hannibal, cet enfant prodige de la cité ?
 
   Si, comme dans d’autres romans de Sophie El Goulli, la fin semble être celle d’un conte pour enfants, une fin plutôt heureuse, la clausule laisse toujours entendre un avenir proche ou lointain beaucoup plus sombre et même teinté de tragique. Le tragique y est toujours confirmé par l’Histoire qui semble avoir sa propre logique : une conjugaison d’événements heureux et de brusques chutes dans les ténèbres d’une violence meurtrière.
 
   Derrière l’expérience amère d’Hashtart se profile l’ombre dépressive de l’auteure ayant perdu, elle aussi, sa mère. Elle dit se voir en elle et revivre, à travers le récit de sa fuite, la descente dans l’abîme qu’elle avait vécue lors du décès de sa chère mère. La fatalité l’a frappée comme elle frappa naguère cette princesse, fille adoptive d’Elyssa.

   Les romans de Sophie El Goulli sont regorgés de poésie. Ils racontent la beauté de ce cher pays à travers les siècles, les nuances de ses couleurs maritimes, de ses collines aux pentes douces, de ses arômes guérisseurs, de la douceur de son climat et de la chaleur de ses habitants. Comme sa poésie, ses récits sont un hymne à cette terre mère, au clapotis des vagues de la côte tunisienne ou carthaginoise, au mystère enveloppant ces lieux de charme et de rêve.
                                                        Najiba Regaïeg